La tribune
Découvrez les défis auxquels notre société est confrontée et pourquoi un plan national ambitieux pour les maths et les sciences est nécessaire.
11/29/20237 min read
APPEL- Sauvons les mathématiques, et les sciences, au service de la Société
Retrouvez la tribune dans Le Monde: Baisse des compétences en mathématiques : « Nous lançons un appel pour que soit mise en œuvre une stratégie nationale ambitieuse » (lemonde.fr)
Les mathématiques sont un bien commun.
Sciences de raison, elles sont un vecteur de liberté – outil d’analyse, d’objectivation, de débat, d’esprit critique, de rationalité, barrière aux idéologies et à l’obscurantisme.
Sciences en dialogue avec toutes les autres sciences, elles sont le langage universel dans lequel s'écrivent les théories qui permettent de comprendre le monde, et les modèles à la base des applications qui irriguent nos sociétés.
Sciences de création, elles sont un moteur d’innovation, de modélisation, d’anticipation, au cœur des réponses à tous les défis du siècle – climatiques, environnementaux, sanitaires, sociaux, humains, urbains, économiques, technologiques, numériques, industriels, éducatifs, démographiques, sociétaux… Sobriété carbone, avenir de la sécurité alimentaire, gestion de l’eau, équilibre sanitaire, mobilité durable, intelligence artificielle raisonnée, et tant d’autres applications qui réinventent la soutenabilité de nos usages, dépendent fondamentalement d’une approche scientifique et mathématique[1].
Art en même temps que science, elles ouvrent sur le réel les perspectives de l’imagination et la créativité, au même titre que la poésie, la musique, l’architecture et tous les arts.
Sciences humanistes, elles sont un élément de culture qui facilite notre capacité à vivre ensemble et le fonctionnement même de notre société. Comme modèles d’argumentation et de démonstration, elles sont au cœur de la délibération et d’un débat démocratique fondé sur les faits.
Sciences abordables par toutes et tous car indissociables du raisonnement logique caractéristique de l’esprit humain, elles peuvent et doivent être porteuses d’égalité indépendamment de toute origine socio-culturelle, un levier d’inclusion et un facteur de cohésion sociale.
Pourtant, au pays de Descartes, mathématicien, savant et philosophe, et de tant d’autres qui ont contribué de façon déterminante au progrès des mathématiques et des sciences, ces dernières sont menacées. Elles courent le risque, réel, de n’être plus développées, utilisées, partagées, faute d’une vision stratégique nationale réellement appliquée.
En 2022, en France, près de la moitié des élèves ne font plus de mathématiques en classe de terminale générale, contre seulement un sur huit avant 2019[2]. Le dernier classement international TIMSS[3] sur l'enseignement des mathématiques place la France au 41° rang mondial, dernière en Europe, pour les CM1[4], et en dessous de la moyenne de l’OCDE et au 22e rang dans le monde pour la classe de quatrième.
Le recul préoccupant de la France comme puissance mathématique et scientifique qui va en résulter intervient alors même que la discipline et les sciences en général sont au cœur des enjeux d’aujourd’hui pour une société innovante, inclusive et durable. Les causes sont nombreuses, complexes et ne se limitent pas à tel ou tel aspect du système éducatif.
Les mathématiques sont, indéniablement, un marqueur et un enjeu de l’égalité entre les femmes et les hommes. En France en 2022, près de la moitié des filles (contre moins d’un quart des garçons) ne choisit pas l’enseignement de « spécialité » mathématiques en classe de première générale[5]. Dans l’enseignement supérieur, seuls 22% des enseignants-chercheurs titulaires de la filière universitaire sont des femmes en 2021 (contre 40% dans l’ensemble des disciplines)[6] – une proportion qui n’évolue pas depuis 1996[7]. C’est une perte à la fois pour les femmes, pour les hommes, pour les sciences et technologies, pour la société et pour notre pays[8].
Elles sont aussi un enjeu de justice sociale : près des deux-tiers des élèves d’origine très favorisée font des mathématiques en terminale, contre moins de la moitié pour les élèves d’origine défavorisée. L’option de terminale « mathématiques expertes » est privilégiée par les garçons d’origine sociale très favorisée (28% d’entre eux), les filles d’origine sociale défavorisée n'y sont pas représentées (4% d’entre elles)[9].
Science de temps long, les mathématiques servent l’humanité au-delà d’un espace-temps immédiat. Dans l’espace public comme privé, elles doivent être développées et encouragées à la hauteur de leur potentiel, pour des innovations toujours plus fiables et pertinentes. Elles constituent une richesse qui devrait pouvoir être accessible à toutes et tous – à l’école et tout au long de la vie, comme outil de liberté, d’expression, de création.
Le temps presse[10].
Nous lançons un appel pour que soit mise en œuvre sans attendre une stratégie nationale ambitieuse pour les mathématiques et les sciences, dotée d’objectifs clairs et mesurables, d’un plan d’action détaillé avec des moyens humains et financiers adéquats, et d’un mode de suivi et d’évaluation robuste et transparent.
Cette stratégie pourrait couvrir de multiples dimensions : l’enseignement, du primaire au supérieur ; la formation des enseignants, et en particulier celle des professeurs des écoles où des évolutions profondes semblent nécessaires ; la formation continue ; la recherche ; les interactions entre la recherche et la société et l’économie, y compris l’industrie, les technologies et les services ; la parité et l’ouverture sociale ; la culture. C’est dans tous les niveaux de la chaîne qu’il faut réinvestir. Autant que la vision d’ensemble, la bonne exécution de bout en bout de ce plan sera bien sûr primordiale.
Nous ne partons pas d’une page blanche : de nombreuses études ont mis en évidence les carences actuelles et ont dégagé des propositions concrètes pour y répondre.
Plus qu’au sursaut, l’heure est à la prise de conscience collective, à l’ambition et à l’action – pour rendre aux mathématiques et aux sciences toute leur place dans notre société. Une place à la mesure de leurs promesses pour notre avenir commun.
Notes
[1] Dans son avis de septembre 2023 sur la place et l’enseignement des mathématiques en France, l’Académie des Technologies souligne l’importance de ces apports.
[2] Rapport sur la place des mathématiques dans la voie générale au lycée général et technologique, Ministère de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports, mars 2022. Bien entendu, un retour vers les proportions de 2019 pourrait s’accompagner d’une variété de contenus et d’approches renouvelées, pour prendre en compte les différentes aspirations et intérêts des élèves.
[3] Évaluation TIMSS 2019, conduite dans 58 pays ; tous les quatre ans, l'évaluation internationale TIMSS (Trends in International Mathematics and Science Study) organisée par l'IEA (International Association for the Evaluation of Educational Achievement) évalue les compétences des élèves des classes de CM1 et de quatrième en mathématiques et en sciences.
[4] Un exemple concret : selon la note d’alerte du CSEN de septembre 2023, seule la moitié des élèves à l’entrée en sixième sait dire combien il y a de quarts d’heures dans ¾ d’heure. Dans son avis susmentionné, l’Académie des Technologies appelle à refonder dès le primaire l’enseignement des sciences et mathématiques, et à revoir en profondeur la formation des professeurs des écoles.
[5] Note NI 23.06 – mars 2023 de la direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (Depp), Education nationale. La réforme de 2023 introduisant une heure et demie de mathématiques dans le tronc commun de classe de première va certes dans le bon sens mais ne change pas la situation générale.
[6] Chiffres de 2021 du rapport 2023 « Vers l’égalité femmes-hommes » du Ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche. Le pourcentage est de 14% en mathématiques fondamentales et de 28% en mathématiques appliquées.
[7] Site de l’association Femmes et mathématiques, effectifs à l’université : 18% en 1996 pour les mathématiques fondamentales et 24% pour les mathématiques appliquées.
[8] Ainsi le rapport de novembre 2023 du Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes « La femme invisible dans le numérique : le cercle vicieux du sexisme » mentionne que 16% des effectifs techniques du numérique en France sont des femmes.
[9] Note DEPP 22.19 – juin 2022. L’option maths expertes est facultative, accessible uniquement aux élèves suivant la spécialité mathématique de 6h. Elle permet de suivre 3h de maths hebdomadaires en plus. Elle facilite l’accès aux filières du supérieur fort contenu mathématique.
[10] De nombreux rapports ont déjà été publiés, facilitant le passage à l’action. En ce qui concerne les mathématiques, outre l’avis de l’Académie des technologies de septembre 2023 susmentionné, citons en particulier la synthèse nationale des mathématiques du HCERES de novembre 2022, les travaux des Assises des mathématiques de novembre 2022, le rapport Torossian-Villani de février 2018. Pour les sciences en général, l’enseignement et la formation des enseignants, mentionnons également les travaux du Collectif Maths et Sciences (en particulier La formation scientifique en France : bilans et perspectives, avril 2023), les missions flash de l’Assemblée nationale (par exemple en juillet 2021 sur les enseignements de spécialité de terminale, en novembre 2022 sur la formation des enseignants), divers rapports de la Cour des comptes (par exemple en février 2023 sur la formation initiale et le recrutement des enseignants), du Sénat (par exemple en juillet 2023 sur la formation continue des enseignants), de l’Inspection générale de l’Education, du Sport et de la Recherche (Egalité filles-garçons en mathématiques, février 2023 ; sensibilisation et formation à la démarche scientifique, avril 2023, etc.), du Collège des Sociétés Savantes sur la formation des enseignants, etc.